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28.11.2017 — 13:32

Ricard Carreras Casablancas : portraits hors de temps.

Núria Martinez Seguer

Portrait du boxeur Josep Gironès. Foto Carrera. Archive de la famille Carreras i Mira.

ATTENTION !

Tous les boxeurs faisant leur portrait chez Fotografia Carrera, Conde del Asalto, 78 auront leur photographie publiée gratuitement dans cette Revue.

(Boxeo, 31 janvier 1928, p. 12).

 

Publiée dans la revue Boxeo, l’annonce met en évidence le lien professionnel étroit entre le photographe Ricard Carreras Casablancas (Sabadell, 1895 - Barcelone, 1975) et une des manchettes de presse sportive monothématique les plus importantes de cette époque. Ricard Carreras fut l’un des photographes portraitistes les plus actifs dans deux des hebdomadaires spécialisés en boxe édités à Barcelona, Boxeo et Boxing. Mais que savons-nous de lui ? Et de ses portraits du quadrilatère ?

La recherche et le suivi de la vie professionnelle du photographe furent complexes. Le fait qu’il modifia son nom pour se faire connaître, nous a initialement fait douter quant à savoir s’il s’agissait de lui ou d’un autre. Les sources consultées, comme des registres du commerce, des livres d’Inscription municipale ou les annuaires des villes où il exerça éclaircirent le doute. Il est possible qu’il décida de s’appeler Carrera pour se différencier du photographe Gabriel Carreras Barceló, qui à cette même époque exerçait de portraitiste et vendeur de matériel photographique à Terrassa.

Ricard Carreras est né à Sabadell, mais ses origines photographiques sont liées au Centre de Randonneurs de Terrassa : comme bien d’autres amateurs, la section de photographie de ce centre lui permit de s’instruire et de se faire connaître, en participant à des concours et à des expositions qui lui donnèrent du prestige et de la confiance pour devenir professionnel. En 1914, à l’âge de 19 ans, il ouvre son premier studio, le Gran Taller Fotogràfic de Ricart Carrera, dans la rue Sant Pere numéro 4, de Terrassa. Bien qu’il soit de Sabadell, il eut un lien important avec la ville de Terrassa en y fondant la Corporation d’Artistes, avec le photographe Joan Rusca Avellaneda.

À la différence d’autres studios qu’il dirigea (Barcelone, Sabadell et Ripoll) dans ce premier établissement de Terrassa, il ne se dédia pas uniquement au portrait de studio, comme le témoigne la suivante fotopostal d’un club de football de Terrassa.

 Anvers de la Fotopostal d’un club de football de Terrassa, 1914. Photo Ricard Carreras. Collection de Núria Martinez Seguer.

 

À partir de 1917, Ricard Carreras consolida sa réputation professionnelle avec de nombreux prix et reconnaissances, gagnant du prestige et l’annonçant dans un grand nombre de ses Fotopostals du début des années vingt : Récompenses obtenues : Belgique 1917 : Médaille et diplôme. –Terrassa 1918 : Prix Cassino Comerç.

–Sabadell 1921 : Médaille d’Or. –Barcelone 1922 : Deuxième prix des jardins parc Monjuich.

Tout en conservant celui de Sabadell, en 1923 il ouvrit son premier studio à Barcelone, sis Nou de la Rambla 71 (autrefois rue Conde del Asalto). Stratège et ayant le sens des affaires, il situa son établissement dans l’une des rues où jadis s’étaient déjà établis des magasins photographiques, par exemple le studio Otnac ou American Alograff. En outre, il y avait une raison importante : c’était un axe commercial et il était à côté de clients potentiels : gymnases, athénées et même le siège du Barcelona Boxing Club.

De cette époque sont caractéristiques la marque de papier photographique qu’il utilisa, la technique de masques et masquages, ainsi que le sceau du studio.

Fotopostal du boxeur Juan Sabate. Foto Carrera, Asalto 78. Collection de Núria Martinez Seguer.

 

Face à la popularité du studio et en pleine prospérité, en 1927 Ricard Carreras déménagea au numéro 78 de la même rue. Selon les dires de sa belle-fille Mercè Mira Boronat, ce nouveau studio donnant sur la rue, jouissait d’une excellente visibilité. De la façade ressortait la vitrine où étaient exposées les meilleures images du studio. En entrant se trouvait un comptoir où la femme de Ricard Carreras prenait note des commandes, entre des murs remplis de portraits. L'intérieur conduisait aux différentes sections : le bureau de Carreras, le laboratoire ou l’escalier vers les plateaux. Ici, Ricard Carreras vécut des années fructifères : la seconde moitié des années vingt et le début des années trente, furent la période culminante et la plus populaire du photographe quant à l’image pugilistique, qui devint sa spécialité, parallèlement aux portraits du monde du spectacle. Dès 1923, il photographiait des boxeurs aussi bien professionnels qu’amateurs.

 

Les studios photographiques les plus populaires au sein du monde pugilistique de Barcelone s’annonçaient dans la presse spécialisée. Parmi ces hebdomadaires se distinguent notamment Boxeo (1924-1936), Boxing (1928) et Box (1929-1930), pour l’information qu’ils générèrent, pour l’immédiateté des chroniques, pour les nombreuses illustrations qui accompagnaient leurs pages et pour la participation de collaborateurs renommés du monde de la boxe. Les photographes portraitistes comme Joan Vilaseca Serra, Francesc Amer ou le propre Ricard Carreras voyaient dans les lecteurs de cette presse spécialisée (boxeurs, managers, suiveurs) de futurs clients.


Bien que d’autres portraitistes comme Francesc Amer et le studio de photographie Laurgraff s’annonçaient également dans Boxeo et Boxing, les ressources commerciales employées par Ricard Carreras étaient plus directes.  L’édition numéro 144 de Boxeo met en évidence la stratégie publicitaire qu’utilisa le studio de Carreras : Boxeurs ! /Votre photographie sera insérée gratuitement dans la Revue, si vous faites votre portrait chez Fotografía Carrera/ Conde del Asalto, 78.

Les années de coopération avec les revues Boxeo et Boxing, le studio photographique Carrera eut un grand volume de travail. Ce fait impliqua le besoin d’augmenter le personnel avec des tireurs et des apprentis de photographie, comme l’indiquent les annonces trouvées dans La Vanguardia :

 

PHOTOGRAPHE

recherche un excellent tireur

et un apprenti de Photographie.

Carrera. C. Asalto, 78

La Vanguardia (27 septembre 1928, p. 33).

 

Pendant cette période, le lien professionnel entre Ricard Carreras et la presse sportive spécialisée fut très étroit, au point de collaborer dans la section de rédaction.

De nombreux photographes du début du vingtième siècle étaient des professionnels formés dans les grands studios photographiques des maîtres portraitistes, d’origine et style du XVIIIe siècle. Le concept hérité de maître/apprenti/disciple, se maintenait en vigueur dans de nombreux studios de portraitistes du XIXe siècle, et donc aussi chez Ricard Carreras. Dans son studio se formèrent de futurs photographes, comme son fils Ricard Carreras Soldevila et d’autres parents, mais aussi un grand nombre des apprentis qui y travaillèrent, par exemple Amalarico Román Martínez qui des années plus tard ouvrit son propre studio photographique, Foto Román, dans la même rue.

 

Dans le programme officiel du combat de boxe entre Paulino Uzcudun et Max Schmeling, de 1934, nous avons retrouvé publiés deux portraits du boxeur catalan Josep Gironès, réalisés par Ricard Carreras. Ce portrait en pied de Gironès, fut l’une des images les plus reproduites de Ricard Carreras dans les revues et journaux sportifs de l'époque, comme El Mundo Deportivo. Il est même reproduit dans la collection d’images Los ases del Boxeo en España.

Les deux photographies de Gironès du programme furent utilisées à différentes fins : tandis que l’un des portraits illustre un volet informatif, l’autre annonce la boisson énergétique Sport Drink, qui dit être « une boisson excellente pour les sportifs et notamment pour les boxeurs car elle donne de l’énergie et de la force ».

Nous avons pu lui assigner la paternité de l’image de Sport Drink, en la localisant dans les archives familiales Carreras i Mira.

Ricard Carreras fut une personne entreprenante, ouverte aux nouveaux marchés et à la recherche de nouvelles stratégies pouvant favoriser son affaire face à la grande concurrence commerciale que vivait la ville. En plus de diriger ses studios photographiques, il publia ses portraits dans les revues illustrées et il toucha même au domaine publicitaire.

Selon ce que me commentait Mercè Mira, Carreras était un authentique monsieur, à l’image impeccable et sa seule présence imposait déjà un grand respect. Le port sérieux et décidé était représentatif de son caractère. Mira se souvient encore combien il aimait se promener avec son élégante Ford dans les rues de Barcelone.

Ricard Carreras mourut en 1975, et dix-sept ans plus tard l’aménagement urbain de la Barcelone Olympique, accéléra la fermeture de son affaire.

Ses portraits de boxeurs, des portraits « hors de temps » constituent le témoignage d'une époque mémorable et unique de la boxe catalane.

 

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