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28.06.2017 — 08:30

Milagros Caturla : une nouvelle Vivian Maier catalane ?

Daniel Venteo (Historien et muséologue)

Photographie: Milagros Caturla / Collection Tom Sponheim

En 2001, Tom Sponheim, un touriste américain, dénicha au marché aux puces Els Encants de Barcelone une centaine de négatifs en noir et blanc, qu’il acheta pour un peu plus de trois euros et qui semblaient représenter des vues d’une ville européenne. Il les scanna à son retour à Seattle et découvrit qu’il était évident que les photographies avaient été prises par quelqu’un de très talentueux dont il ignorait l’identité. Sponheim avait perdu récemment ses albums de famille au cours d’un déménagement entre la Californie et Washington, et ces photos captivantes de la ville européenne vinrent alors embellir les murs de sa maison et commencèrent, en quelque sorte, à faire partie de sa vie.

Photographie: Milagros Caturla / Collection Tom Sponheim

Photographie: Milagros Caturla / Collection Tom Sponheim

Avec l’émergence définitive des médias sociaux comme Facebook à la fin de la première décennie du XXIe siècle, Tom Sponheim pensa qu’il était possible d’essayer d’identifier la personne qui se cachait derrière l’appareil photographique qui avait saisi ces vues. Et il en fut ainsi. Si les débuts de sa page Facebook « Les photos perdues de Barcelone » ne furent pas faciles – il dut même publier des annonces pour la promouvoir –, le 12 janvier 2017 un fait fondamental se produisit. Le journaliste Carles Cols relaya dans les pages du quotidien El Periódico cette surprenante histoire qui rappelait quelque part certains aspects de l’aventure de John Maloof et la découverte du monde de Vivian Maier. « Avis de recherche d’un photographe pour un hommage bien mérité » était le titre de l’article de Carles Cols qui achevait cette première nouvelle en disant : « L’auteur de ces si délicieuses photographies est recherché. Il mérite un hommage. Ici et à Seattle. Avec un peu de chance, il ne reste que deux mots à ajouter. À suivre ». Et l’histoire eut en effet une suite, avec des résultats tout à fait surprenants.

Photographie: Milagros Caturla / Collection Tom Sponheim

Photographie: Milagros Caturla / Collection Tom Sponheim

La nouvelle parvint aux oreilles – ou, pour être plus exacts, au mur de Facebook – d’une internaute passionnée de photographie amateur et de swing, Begoña Fernández Díez qui, en mars dernier, réussit à identifier l’auteur des photos perdues de Barcelone. En réalité, ce n’était pas un auteur mais une auteure : Milagros Caturla. Lauréate du IVe Concours Provincial Féminin de Photographie de 1962, Caturla était institutrice à l’origine mais gagnait sa vie comme fonctionnaire de la Diputació de Barcelona. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle mourut en 2008, célibataire et sans descendance, laissant derrière elle un héritage photographique dont nous ne connaissons probablement qu’une petite partie. Milagros Caturla était membre de l’intéressant Groupe Féminin du Groupement Photographique de Catalogne, dont firent aussi partie Maria Antònia Gumà ou Glòria Salas Bulbena, décédée à l’âge de 101 ans le 20 avril 2017. Begoña Fernández s'est proposé de tirer de l’oubli la vie et l’œuvre de ces pionnières de la photographie à cheval sur les années 1950 et 1960, une période encore dominée par les photographes masculins.

Photographie: Milagros Caturla / Collection Tom Sponheim

Photographie: Milagros Caturla / Collection Tom Sponheim

Tout comme dans le cas de Vivian Maier, les photographies de Milagros Caturla ont été prises à Barcelone au début des années soixante. Les enfants y sont très présents, que ce soit dans des célébrations religieuses à des dates importantes, dans un recoin de la place du Raval ou du quartier gothique, ou dans une salle de classe. Aux dires de Fernández, il s’agissait effectivement d’un regard très féminin. « Je me suis sentie très identifiée avec ces photographies, comme si j’avais pu les prendre moi-même. Autrement, comment la personne derrière l’appareil aurait-elle pu être aussi proche des élèves d’une école de filles ou d’une académie de danse ? C’était une intuition. Après, la recherche dans la presse et la documentation de l’époque me menèrent à documenter, sans aucun doute, la personne qui se trouvait derrière : c’était bien une femme », a affirmé l’auteure.

Photographie: Milagros Caturla / Collection Tom Sponheim

Photographie: Milagros Caturla / Collection Tom Sponheim

Begoña Fernández eut la chance de rencontrer Francesca Portolés au siège du Groupement Photographique de Catalogne dont elle est l’ancienne présidente. Grâce à son aide inestimable, elle put consulter les bulletins du Groupement, dans les pages desquels elle trouva la première photographie qui permettait d’identifier incontestablement l’auteure des photos perdues de Tom Sponheim. Un des négatifs que l’américain conservait chez lui à Seattle correspondait à une photographie qui avait remporté le quatrième prix du troisième concours de la Section Féminine de la Phalange de Barcelone en 1961 ; Fervor en était le titre et Milagros Caturla, l’auteure. Cette année-là, elle remporta également le deuxième prix du IVe Salon National de Photographie Artistique « Festa Major de Gràcia », juste derrière Eugeni Forcano. Les appareils photographiques qu’elle utilisait étaient un Leica M2, avec objectif Canon de 85 mm, et, occasionnellement, un Ikoflex, qui n’ont malheureusement pas été conservés. Ce fut probablement dans les années 70 qu’elle se débarrassa de son équipement photographique, quand elle déménagea de son grand appartement de la rue València à un autre plus petit de la rue Capellans, près de la place Nova.

Photographie: Portrait de Tom Sponheim / Collection Tom Sponheim

Photographie: Portrait de Milagros Caturla / Collection Tom Sponheim

Née à Barcelone en 1920, Milagros Caturla Soriano était la septième de dix enfants d’un lieutenant-colonel d'infanterie. En 1957, elle s’inscrivit au Groupement Photographique de Catalogne et quelques mois plus tard, en avril 1958, elle obtenait déjà une reconnaissance : le troisième prix du concours mixte (masculin-féminin) de cet organisme. Le chapitre suivant dont elle est l’héroïne est celui de la redécouverte des photographies perdues de Barcelone. L’histoire singulière de Tom Sponheim, Begoña Fernández Díez et Milagros Caturla a fait le tour du monde grâce à sa forte répercussion dans la presse écrite et audiovisuelle qui l’ont relayée. De nouveau, les Encants de Barcelone sont devenus une mine d’or d’histoires personnelles entrecroisées au dénouement inattendu. Le Festival Revela't de Vilassar de Dalt présente en avant-première mondiale les photographies de Milagros Caturla de la collection de Tom Sponheim dans une exposition qui n’est sûrement que la première manifestation d’un projet plus ambitieux visant à récupérer la vie et l’œuvre de celle que beaucoup considèrent d’ores et déjà comme la Vivian Maier catalane.

Daniel Venteo. 

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